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Le Japon

Soleil Rouge | Assassinat de Shinzo Abe : quel est vraiment le poids de la secte Moon au Japon ?

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Dix jours après l’assassinat de l’ancien premier ministre Shinzo Abe, la secte Moon se trouve au cœur de l’attention médiatique. Selon les premiers éléments de l’enquête, la secte aurait profité financièrement de la mère de l’assassin, Tetsuya Yamagami, et ce dernier aurait cherché à se venger.

L’Église de l’unification, aussi appelée Secte Moon, fondée en 1952 par le révérend sud-coréen Sun Myung Moon (1920-2012), est un groupe religieux chrétien aux multiples dérives sectaires. Son fondateur se présente comme le nouveau messie, prétendant avoir eu une vision de Jésus Christ à l’âge de 15 ans, qui lui aurait confié la mission de poursuivre son œuvre sur Terre. Les fidèles suivent les préceptes qui figurent dans les « Principes divins », un livre écrit par Moon lui-même, dans lequel il réinterprète très largement les écritures bibliques.

La mère de Tetsuya Yamagami, entrée dans la secte en 1998, lui avait fait don de l’équivalent d’environ 750 000 euros en trois ans, avant de se retrouver en situation de surendettement en 2002. Ce groupe a également été médiatisé au Japon pour avoir organisé dans les années 1980 et 1990 de nombreux mariages de masse entre des Coréens et des Japonais qui ne se connaissaient pas.

Les dérives sectaires, un problème de société négligé au Japon

D’après les témoignages d’anciens fidèles – qui se multiplient dans les médias –, ceux-ci étaient vivement incités à se séparer de leurs possessions et à acquérir auprès des représentants de la secte toute sorte d’objets pour assurer leur salut et celui de leurs proches et ancêtres.

Même si la secte est implantée ailleurs, comme aux États-Unis ou dans des pays d’Amérique du Sud, les revenus obtenus par sa branche japonaise, qui sont en grande partie envoyés en Corée du Sud, représenteraient plus de la moitié des revenus globaux de l’organisation.




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D’après une association d’avocats opposée aux ventes forcées d’objets religieux, au cours de ces dix dernières années 1 867 personnes résidant au Japon ont déclaré avoir été victimes de telles ventes, ce qui représente un dommage estimé à environ 83 millions d’euros. Lors d’une conférence de presse tenue le 11 juillet dernier, le président de la branche japonaise de la « Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification » (nouveau nom de la secte depuis 2015) a affirmé que les dons des membres étaient spontanés et ne résultaient pas d’une obligation, ajoutant que la « Fédération » dissuadait les membres endettés de faire des dons. L’association d’avocats a cependant rejeté en bloc ces affirmations et rappelé le caractère nocif de ce groupe sectaire lors d’une conférence de presse tenue le lendemain.

Alors que les autorités mettent régulièrement en garde contre les arnaques et que le surendettement des ménages, l’addiction aux jeux et les dangers de certains crédits à la consommation ont fait l’objet d’un débat public et de certaines réglementations au Japon – notamment grâce à des avocats –, les dérives sectaires, elles, font l’objet d’une attention moindre.

Certes, les attentats commis par la secte Aum dans les années 1990 avaient été l’occasion pour le public japonais de découvrir le danger des mouvements sectaires. Une loi visant spécifiquement cette organisation avait même été promulguée. Néanmoins, les décideurs politiques n’ont pas semblé désireux de légiférer davantage sur ces questions, peut-être à cause de leur délicate articulation avec la liberté de culte et de la présence du parti bouddhiste Kōmeitō dans la coalition gouvernementale à partir de 1999.

Certains observateurs considèrent que l’absence de législation précise s’explique également par les liens étroits qui existent entre des groupes religieux et certains partis politiques.

Les liens ambigus entre Moon et le Parti libéral-démocrate

Les premières formulations utilisées dans les médias japonais pour évoquer le motif de l’assassinat laissaient entendre que le lien établi par le tireur entre la secte et l’ancien premier ministre résultait d’une méprise – position partagée par le responsable de la branche japonaise de la secte. Plusieurs éléments attestent pourtant de l’existence de ce lien, même s’il dépasse largement la seule personne de Shinzo Abe.

C’est en fait son grand-père et ancien premier ministre (1957-1960) Kishi Nobusuke, cofondateur du Parti libéral-démocrate (PLD) – parti conservateur au pouvoir depuis 1955 presque sans discontinuer –, qui avait tissé de solides liens avec la secte. Le siège de celle-ci avait même été construit à Tokyo sur un terrain lui ayant appartenu. Kishi partageait en effet l’idéologie anti-communiste de la secte, qui avait créé en 1968 la « Fédération internationale pour la victoire contre le communisme » (FIVC).




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De 1968 à 1972, le président honoraire de la branche japonaise était d’ailleurs Sasakawa Ryōichi, un homme d’affaires ultra-conservateur qui avait été, comme Kishi Nobusuke, inculpé de crimes contre la paix (classe A) dans le cadre du procès de Tokyo sans être finalement jugé.

Ces liens s’étendirent ensuite à d’autres figures importantes du PLD, parmi lesquelles Abe Shintarō, père de Shinzo Abe. Bien que leur degré d’implication ait été variable, 128 parlementaires proches de la secte et appartenant essentiellement au PLD figuraient sur une liste publiée par l’hebdomadaire Shūkan gendai en 1999.

Héritant de ces liens ambigus avec la secte, Shinzo Abe avait envoyé en 2006, alors qu’il était secrétaire général du Cabinet (n°2 du gouvernement), un télégramme de félicitations pour une cérémonie de mariage organisée par la « Fédération pour la paix universelle » (FPU), un autre groupe créé par la secte en 2005. L’association des avocats susmentionnée avait alors adressé deux lettres ouvertes à Abe, critiquant vivement cette démarche et rappelant la dangerosité de l’organisation.

En 2018, cet épisode a été rappelé au Parlement par un membre de l’opposition qui reprochait à un ministre du gouvernement Abe, Fukui Teru, d’avoir lui aussi adressé plusieurs messages de ce type à la secte. En septembre 2021, Shinzo Abe – à l’instar de Donald Trump – apparaissait dans une vidéo diffusée à l’occasion d’un événement de la FPU, où il félicitait l’organisation. Cela avait à nouveau fait l’objet d’une lettre ouverte de la part de l’association des avocats.

Même si le rapport entre le PLD et la secte n’est plus aussi fort qu’il a pu l’être, une nouvelle liste publiée le 16 juillet 2022 par l’hebdomadaire Nikkan gendai a révélé que 112 parlementaires, presque tous issus du PLD, maintenaient des liens avec celle-ci. En 2019, c’était le cas de dix des vingt membres du gouvernement Abe.

Échange de bons procédés…

Si l’anti-communisme n’est plus une cause fédératrice aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que le PLD et la secte se rejoignent sur de nombreux thèmes, comme l’opposition au mariage homosexuel, l’attachement à la règle de l’unicité du nom de famille des couples mariés ou encore la volonté de réviser la Constitution (inscription dans celle-ci des Forces d’autodéfense, de dispositions relatives à un état d’urgence, ou encore de la prévalence de la famille sur l’individu, etc.).

Sur ces points, l’agenda idéologique de la secte est similaire à celui de Nippon Kaigi, une organisation politique et religieuse d’extrême droite également proche du PLD et notamment de Shinzo Abe. Certes, plusieurs points peuvent paraître incohérents avec les positions habituelles de la droite conservatrice japonaise (célébration du christianisme, de la Corée comme nation suprême, etc.), mais cette collaboration est avant tout pragmatique et repose sur un « échange de bons procédés ».

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Tout d’abord, la secte pouvait fournir à certains parlementaires des voix utiles à leur élection en incitant ses fidèles à voter pour eux (on parle de « vote organisationnel »). Aujourd’hui encore, des parlementaires du PLD bénéficient de ce soutien, comme Kitamura Tsuneo en 2013, ou encore Inoue Yoshiyuki aux dernières élections de juillet 2022.

Plusieurs sources confirment également le fait que de nombreux fidèles travaillaient gratuitement auprès d’élus PLD durant les campagnes électorales, ou en tant que secrétaires parlementaires privés (shisetu hisho).

En échange, les élus n’avaient qu’à envoyer des messages de remerciements, faire quelques apparitions à des événements, etc. Tandis que la secte fournissait aux PLD de précieuses ressources organisationnelles, le PLD lui procurait d’importantes ressources réputationnelles – et l’assurait peut-être d’une certaine passivité législative (contrairement à la France, il n’existe aucune loi contre les mouvements sectaires).

Certains observateurs ont souligné le fait qu’il était banal pour des élus de remercier différents groupes de soutien – d’autant que ce sont souvent leurs assistants parlementaires qui s’en chargent – et qu’il ne fallait pas y voir une adhésion ferme de leur part. On ne peut néanmoins raisonnablement penser que les élus concernés ignoraient tout de la nature et des activités de la secte.

Quoi qu’il en soit, il est indéniable que leur image et leur proximité avec la secte ont été abondamment utilisées par cette dernière auprès des fidèles et des personnes approchées pour se légitimer et faciliter ses activités frauduleuses.

C’est précisément cela que le tireur reprochait à Shinzo Abe, qui n’était peut-être pas l’homme politique le plus proche de la secte, mais était certainement le plus influent. Ainsi, le motif politique de l’assassinat a été rapidement écarté après que le tireur a déclaré que l’ancien premier ministre n’était pas sa cible originelle et qu’il ne ressentait aucune animosité envers lui et sa politique (il souhaitait assassiner des cadres de la secte mais n’était pas parvenu à ses fins). Il n’empêche que cet assassinat comporte dans ses causes des éléments résolument politiques qui méritent de faire l’objet d’un débat sérieux et déconnecté du volet pénal de l’affaire.

The Conversation

Arnaud Grivaud does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

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